mercredi 25 novembre 2015

"Oedipe Roi" de Sophocle

"Oedipe Roi" de Sophocle
Ed. Librio 2006. Pages 96.

Résumé: Cruauté du sort qui amène Œdipe à commettre à son insu l'acte criminel prédit par l'oracle ! Averti par Delphes qu'il tuerait son père et épouserait sa mère, il fuit les lieux de son enfance, espérant ainsi préserver Polype et Mérope, ses parents présumés... Que ne lui a-t-on dit, hélas, qu'il était le fils de Laïos !
Ignorant du drame ancien, aveuglé parle hasard, Œdipe court à sa perte. Il tue un voyageur qui lui barre la route, libère Thèbes de la Sphinge, épouse la reine de la cité, occupe le trône royal et... accomplit son terrible destin.

La 7 de la page 7: "Comment retrouver à cette heure la trace incertaine d'un crime si vieux." 

Tout le monde connaît l'histoire d’OEdipe. Roi de Thèbes, OEdipe veut résoudre le meurtre de Laïos, son prédécesseur. OEdipe a quitté Corinthe parce qu'un oracle lui avait prédit qu'il tuerait son père (Polybe) et partagerait la couche de sa mère (Mérope). Sur le chemin qui le mène à Thèbes, il tue un homme qui lui refuse le droit de passage. Arrivé à destination, il épouse la reine veuve, Jocaste et devient le roi de Thèbes. Après plusieurs rebondissements et surtout après enquête d'OEdipe, on découvre qu'en fait il est l'assassin de Laïos. De plus, on découvre l'oracle fait à Laïos et Jocaste: leur fils tuera son père pour épouser sa mère. Ils ont fait tuer cet enfant. Or, l'esclave qui a devait tuer l'enfant, pris d'un remord, le confia à un corinthien. Ce dernier a donné l'enfant à Polybe et Mérope. Les deux oracles se sont accomplis. OEdipe, fils de Laïos et de Jocaste a bien tué son père et a bien épousé sa mère. 
Mais réduire cette pièce de Sophocle a un simple complexe est grandement réducteur. Le texte antique est source d'une richesse qui traverse les âges.  
Sophocle met en avant des problématiques beaucoup plus universelles. OEdipe parle sans savoir. Il promet sans retenue. 
"J'entends tes prières, et à ces prières c'est moi qui réponds. (...) Je parle ici en homme étranger au crime lui-même; je ne pourrais tout seul mener loin mon enquête, à moins de disposer de quelques indices; et comme je me trouve en fait un des derniers citoyens inscrits dans cette citée, c'est à vous, c'est à tous les Cadméens que j'adresse solennellement cet appel: A quiconque parmi vous sait sous le bras de qui est tombé Laïos, le fils de Labdacos, j'ordonne de me révéler tout." 
OEdipe se condamne lui-même, sans le savoir. Si OEdipe n'a pas encore toutes les informations de la mise en place de la tragédie qui va se dérouler sous nos yeux, par contre, Sophocle nous donne, à nous, lecteurs, un indice de taille. OEdipe est bien un des derniers arrivants à Thèbes. Donc, de ce fait, il vient d'ailleurs. Il n'est pas natif de Thèbes. De plus Sophocle utilise le mot "étranger". Il ne l'utilise pas par hasard. OEdipe est bien étranger à Thèbes mais il est, croit-il, étranger au crime perpétré contre Laïos. En fait, il est surtout étranger à la vérité. 
"Voilà comment j'entends servir et le dieu et la mort. Je voue le criminel, qu'il ait agit tout seul, sans se trahir, ou avec des complices, à user misérablement, comme un misérable, une vie sans joie; et si d'aventure je venais à l'admettre consciemment à mon foyer, je me voue moi-même à tous les châtiments que mes imprécations viennent à l'instant d'appeler sur d'autres." 
OEdipe ne sait pas à quel point il a raison. C'est probablement pour cela qu'il enfonce le clou. Mais même lorsqu'on lui dit de s'arrêter et de bien réfléchir à ses propos, il reste sourd. 
" Tirésias: Hélas! qu'il est terrible de savoir quand le savoir ne sert à rien à celui qui le possède." 
Tisérias tente de lui transmettre le message qu'il sait quelque chose qui, à lui, ne lui sert à rien. Mais qui pourrait être une information vitale à OEdipe qui pourtant balaie d'un revers de main les propos de Tisérias. La logique voudrait que OEdipe lui demande où il veut en venir. Or, il n'en fait rien, sûr de son fait. 
Sophocle a mis en place la tragédie qui va, maintenant, suivre son cours logique. Il est déjà trop tard pour OEdipe qui s'est condamné lui-même. Il croit avoir déjoué une prophétie. Il se croit plus fort que le destin que les dieux lui ont réservé. Il se croit à l'abri. Il a malheureusement tort. 
La corrélation des deux prophéties est pourtant assez évidente. OEdipe est tellement englué dans ses certitudes qu'il n'envisage pas un seul instant que le passant qu'il a tué jadis puisse être Laïos. 
Là où le texte est terriblement bon, c'est que le lecteur a une longueur d'avance sur OEdipe. Le lecteur ne peut s'empêcher d'entrevoir la vérité. Mais il ne peut rien faire, que contempler la chute inévitable. 
"Tirésias: (...) Tu me reproches d'être aveugle, mais toi, toi qui y vois, comment ne vois-tu pas à quel point de misère tu te trouves à cette heure? et sous quel toit tu vis, en compagnie de qui? Sais-tu seulement de qui tu es né? (...)" 
Tirésias ne se cache même plus. Pour ceux qui avaient quelques doutes, c'est maintenant clair. Il faut douter de tout, même de ce qu'on pense être vrai. Il ne faut pas faire la même erreur qu'OEdipe et se condamner soi-même. Tirésias lui donne la clef. Il lui demande de douter même des certitudes de sa naissance. Mais OEdipe reste sourd. Mais on ne peut s'empêcher de penser que, peut-être, à ce moment là de la pièce, OEdipe sait mais ne veut tout simplement pas comprendre. La vérité étant trop insoutenable pour lui. Les conséquences trop grandes. Sophocle a maintenant mis toutes les cartes sur la table. La fin tragique ne peut plus être évitée. 
"Le Coryphée: Qui prétend se garder d'erreur trouvera qu'il a bien parlé. Trop vite décider n'est pas sans risque, roi." 
 Alors qu'OEdipe s'entête à ne pas comprendre, Jocaste, elle, comprend immédiatement. Il faudra attendre l'arrivée du Corinthien pour qu'il comprenne réellement (ou qu'il s'admette la vérité comme ne pouvant plus se cacher à ses yeux.) Une fois la vérité totalement dévoilée, l'aveuglement psychique de OEdipe devient physique: il se crève les yeux. Il s'est lui-même condamné à l'errance et à l'exil. La tragédie est bouclée. Ne jamais se prononcer sans avoir tous les détails et savoir qu'on ne sait pas et s'exprimer dans ce sens. Voilà le chef-d’œuvre que nous a laissé Sophocle. 

Extrait: "Gardons-nous d'appeler jamais un homme heureux, avant qu'il ait franchi le terme de sa vie sans avoir subi un chagrin." 
 

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